Le Notre Dame de Bonne Espérance.
Année de naufrage : 1687
Nom du navire : Le Notre Dame de Bonne Espérance
Capitaine : Guillaume Peyssonel
Type de navire : Vaisseau
Nombre de canons : 16
Nationalité : Français
Port d'attache : Marseille
Lieu de naufrage : Caye Pinsonnelle
Observations : Le Notre Dame de Bonne Espérance quitte Marseille pour son dernier voyage le 12 mars 1687.
Il a à son bord cent forçats du bagne, un groupe de cent protestants déportés composé de soixante dix hommes,
trente femmes et vingt-trois soldats.
Après un très long voyage, deux mois, il fait naufrage le 19 mai 1687 sur une petite île de la côte est de la Martinique.
Le naufrage est meurtrier essentiellement chez les forçats qui enchaînés ne purent se sauver et chez les déportés religieux
qui ont souffert d'une épidémie pendant le voyage et qui sont épuisés.
Sources d'archives et références :
Alain Demerliac, la Marine de Louis XIV, Navires marchands du Département de Marseille, p. 258 et p. 130 et 130 bis.
CAOM C8 A. 4, fol.257 v
CAOM C8A 4, fol. 249
Serres, Quatre relations véritables du Sieur Serres de Montpellier, Amsterdam, 1688, pp. 23-49.
Benoit, Histoire de l'édit de Nantes, 1690.
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Désignation du site : Le Notre Dame de Bonne Espérance, 8 Canons et 3 ancres sur la caye
Numéro d'inventaire GRAN : FR/M/3/D/022
Numéro DRACAR : 97 210 051/AH
Commune : Le François
Type de site : Épave non cohérente
Profondeur maximale : 6
Lieu dit : Nord de la Caye Pinsonnelle
Commentaire : Site de naufrage découvert par des plongeurs du COREMA. Une fiche de monsieur Pierre Brest,
égarée à la suite d'un mauvais classement vient d'être retrouvée dans un dossier du SRA.
Elle donne la localisation à proximité de la bordure nord de la "caye au sud de laquelle émerge
la chaudière du Mississipi", il s'agit de la Caye Pinsonnelle.
Le matériel localisé à l'époque est constitué par 9 Canons et 3 ancres sur la caye dans un rayon de moins de 50 mètres, très peu concrétionnés.
Canon 1 : sortit de l'eau et ramené à Fort de France. Il s'agissait du plus petit des 9.
Canon 2 : à 3 mètres du 1. Longueur bouche/culasse = 2,20. Diamètre de la bouche 25 cm.
Canon 3 : identique au 2 à 3 ou 4 mètres de celui-ci.
Canon 4 : Longueur bouche/culasse=2 mètres, diamètre bouche 25 cm, diamètre culasse 40 cm. Près de 3.
Canon 5 : à 7 mètres environ du canon 4. 2 mètres de long (bouche/culasse).
Canon 6 : 2 mètres de long.
Canon 7 : accolé tête-bêche au canon 6. Intervalle de quelques centimètres entre ces deux canons.
Ce canon est un peu plus petit que le 6 (1,80 mètres de long).
Canon 8 : 2,20 mètres bouche/culasse.
Canon 9 : à 5 mètres de 8 et parallèle à celui-ci. 2 mètres (bouche/culasse).
Une ancre avec organeau intact.
2 ancres sans organeau. près de l'une d'elle deux demi-organeaux ont été décoraillés.
La verge d'une de ces deux ancres mesure 3 mètres de long. La patte est large 45 cm.
Deux tenons de 10 cm à 5 centimètres de l'extrémité de la verge (ancre à jas de bois).
La récupération a été effectuée par le pêcheur Georges Jean-Louis du François et avec l'aide de la CRAS du COREMA.
Une expertise a été réalisée du 02 au 06 décembre 1996. Utilisant une logistique légère elle a permis de localiser précisément
le site et d'un dresser le plan. Une exploration détaillée de la zone du lest et des concrétions pourrait livrer un peu de matériel.
Il faut noter la rareté des éléments en alliage de cuivre sur le site. Aucun clou de type clou de doublage ni aucune trace
de feuilles de doublage ne sont visibles. Cette particularité indique une datation antérieure au dernier tiers du XVIIIème siècle.
Hypothèse du Notre Dame de Bonne Espérance.
Le Notre Dame de Bonne Espérance quitte Marseille pour son dernier voyage le 12 mars 1687.
Il a à son bord cent forçats du bagne, un groupe de cent protestants déportés composé de soixante dix hommes,
trente femmes et vingt-trois soldats.
Après un très long voyage, il fait naufrage le 19 mai 1687 sur une petite île de la côte est de la Martinique.
Le naufrage est meurtrier essentiellement chez les forçats qui enchaînés ne purent se sauver et
chez les déportés religieux qui ont souffert d'une épidémie pendant deux mois de voyage et sont épuisés.
La découverte de canons et d'ancres sur la caye Pinsonnelle nous a conduit à envisager l'identification de ce site
avec le Notre Dame de Bonne Espérance.
Si l'on reprend les caractéristiques du naufrage telles que nous les avons faites ressortir des textes
(relation du Sieur Serres, un des protestants rescapé du naufrage) nous constatons que :
Les fonds sur lesquels se situent les vestiges sont entre trois mètres cinquante et six mètres et situés au vent de récifs
couverts de moins de deux mètres cinquante d'eau. Il ne semble pas que l'épave ait franchi le récif.
Les ancres n'ont pas été mouillées. Un nageur peut franchir le récif au niveau du site, surtout si le vent est plutôt est-sud-est.
Ce régime de vent est courant au mois de mai en Martinique.
La caye Pinsonnelle est en vue de la Pointe Larose où vivaient des caraïbes.
La caye est directement au vent d'un groupe de cinq îlets.
Ces éléments permettent d'affirmer avec quasi certitude qu'il s'agit bien des restes du Notre-Dame-de-Bonne-Espérance.
Plusieurs canons manquants ont été repêchés clandestinement par des particuliers et sont visibles dans les îlets alentours
où il servent de décoration de jardin !
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1687 - Naufrage du Notre Dame de Bonne Espérance.
CAOM C8A 4, f° 257 v° - Lettre du Comte de Blénac à Colbert de mai 1687.
(f° 257) « Le Capne Peyssonnel qui portoit aux Isles 80 Religionnaires, 100 forçats et 20 soldats aperdu son navire proche de la Cabesterre,
mais on ne scavoit pas encore le nombre de ceux qui se sont sauvez de ce naufrage, Il en envoyera un verbal incessamment.
Les Peuples sont fort estonnez de ces envoys, les forçats sont accablez d'années et d'incommoditez et absolument inutiles.
Les Religionnaires seront fascheux et les habitants craignent avec raison que lorsqu'ils auront connu le pays,
Ils n'enlèvent leurs nègres et ne les emmènent chez les Anglois vue la facilité qu'il y a de trouver des canots et l'impossibilité de garder les Isles.
On doute que puisque l'on n'a pu les contenir en France on le puisse faire dans les Isles et qu'il n'en arrive des fascheuses suites.
Il faut remarquer sur cela qu'on ne peut establir personne qu'il n'ayt d'avance des vivres pour six huit mois,
pour pouvoir attendre la récolte de ce qui aura esté planté, et des serpes,
des houx et des haches pour travailler aux défrichements, ce que pas un deux n'a. »
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1687 - Naufrage du Notre Dame de Bonne Espérance.
Passage de l'ouvrage : "Quatre relations véritables" du Sieur Serres de Montpellier, Amsterdam, 1688, pp. 23-49.
Le récit intitulé Quatre relations véritables du Sieur Serres de Montpellier, paru à Amsterdam en 1688, donne, dans la deuxième relation,
les détails du voyage de traversée des protestants du Notre Dame de Bonne Espérance.
Ce document fait partie de la collection personnelle du Docteur Châtillon, mise en dépôt début 2000 au musée de Bordeaux.
On peut en cliquant sur ce lien consulter le texte intégral de cette deuxième relation.
La Notre Dame de Bonne Espérance quitte Marseille pour son dernier voyage le 12 mars 1687.
Il a à son bord cent forçats du bagne, un groupe de cent protestants déportés composé de soixante dix hommes,
trente femmes et vingt-trois soldats.
Après un très long voyage, deux mois, il fait naufrage le 19 mai 1687 sur une petite île de la côte est de la Martinique.
Le naufrage est meurtrier essentiellement chez les forçats qui enchaînés ne purent se sauver et chez les déportés religieux
qui ont souffert d'une épidémie pendant le voyage et qui sont épuisés.
Les lignes suivantes présentent des extraits commentés du texte du sieur Serres qui est un des survivants du naufrage du
Notre dame de Bonne Espérance. Ils présentent les points précis du récit pouvant permettre de localiser la situation géographique du naufrage.
Les éléments donnés dans le texte ainsi, bien sûr, le fait que le récif du naufrage, la caye Pinsonnelle, aie gardé le nom du capitaine du navire,
Guillaume Peyssonnel, ont permis l'identification de vestiges connus sur la caye Pinsonnelle, au large du François,
avec l'épave du Notre Dame de Bonne Espérance.
1- « ... dans un Navire nommé Nôtre Dame de Bonne Espérance, commandé par un capitaine de Marseille appellé Pensonnel. ... » p. 30
Serres déforme lui aussi le nom de Peyssonnel. Les fluctuations de l'orthographe du XVIIème siècle et les accents régionaux suffisent à expliquer
ces transformation : Peyssonnel, Pensonnel, Pinsonnel.
Il faut noter que Peyssonnel n'est que la transcription française du nom provençal Pescelli probablement d'origine italienne.
On peut lire dans Borricand René, Nobiliaire de Provence, tome II, p. 924 que le nom patronymique de la famille est De Peyssonnel ou Pescelli.
Blason : D'azur à un poisson d'argent nageant sur une mer de mesme et au chef cousu de gueule chargé de trois étoiles d'or.
Devise : Agitatis ludit in undis.
Plusieurs membres de la famille se sont illustrés :
Balthazar de Peyssonnel - savant physicien et astronome.
Jean de Peyssonnel - procureur du Pays d'Aix en 1658.
Sauveur de Peyssonnel - maréchal de camp et inspecteur de la Cavalerie.
Jacques de Peyssonnel - procureur du pays d'Aix en 1676 et 1683.
François de Peyssonnel - consul d'Aix en 1686.
Un Peyssonnel, médecin , est mort en soignant la population de Marseille pendant la peste de 1720
Jean-André Peyssonnel (1694-1759) , fils du précédent, qui demeura 33 ans aux Antilles comme médecin du roi,
est l'auteur d'une découverte qui bouleversa l'Histoire naturelle. Dans un mémoire envoyé à l'Académie en 1723,
il affirme, observations à l'appui, que le corail n'est pas un végétal mais un animal.
La découverte fut accueillie avec dédain par Réaumur et JussieuŠ oubliée et reconnue seulement en 1740 !
Jean-André Peyssonnel sera reconnu d'abord en Angleterre où il deviendra correspondant étranger de la Société Royale de Londres.
La famille est originaire de Marseille et fut maintenue noble en 1710-1711.
Sauveur de Peyssonnel reçut de Louis XIV le titre de marquis. Ils possèdent des seigneureries à Fuveau, St-Savournin, Calas et Roquebrune.
Ils s'éteignirent au XVIIIème siècle. Un Hôtel à Aix, 9 rue Roux-Alpheran, porte toujours ce nom.
2- « ... Le Dimanche de la Pentecoste, le Pilote ayant fait son calcul, dit au Capitaine qu'il croyoit que nous n'étions qu'à quarante lieues de la Terre de la Martinique,
& que de peur de heurter à quelque écueil, & de faire quelque naufrage, il n'étoit point d'avis de faire chemin la nuit suivante ... » p. 36
La lieue marine valant 5, 556 km le pilote estime donc la distance jusqu'à la Martinique à 222 km.
Bien que Serres ne donne pas de précision d'heure on peut supposer que cet épisode se situe peu après midi, car si l'appréciation de la longitude se fait à l'estime,
le pilote avait certainement fait sont point en latitude à la méridienne.
3- « ... Le Capitaine s'opposa au sentiment du Pilote, il lui soûtint qu'il se trompait dans son calcul, qu'ils en étaient à plus de cent lieues de terre,
& qu'ils pouvoient continuer à faire chemin le jour & la nuit, sans rien craindre en faisant faire bon quart. ... » p. 36-37
Le capitaine par son estime de cent lieues (550 km) peut se croire à l'abri. Comme l'indique Moreau de Jonnès (Moreau de Jonnès. & emdash;
Notice sur les ports de la côte orientale de la Martinique, Paris, 29 juillet 1819, CAOM DFC N°553)"
Les bâtiments qui viennent d'Europe s'étant mis en latitude de la Martinique, peuvent apercevoir d'une distance de 36 lieues le sommet des plus hautes montagnes
et la longueur de la nuit, sous le quinzième parallèle, est constamment de 11 à 12 heures ŠA l'atterrage des Antilles l'identité de direction du vent et de la dérive
produit une accélération de vitesse si grande que quoiqu'on puisse apercevoir la terre de 20 lieues, il est possible d'être à la côte avant minuit lors même qu'on a exploré
soigneusement l'horizon au coucher du soleil et que la distance n'a pas permis de découvrir la cime des montagnes secondaires.
Ce mécanisme est à l'origine de nombreux naufrages sur la côte au vent de la Martinique.
4- « ... Le Lundy aprés la Pentecoste, deux ou trois heures avant le jour, le Pilote fut à la Prouë, pour voir Þ les gens qui faisoient le quart,
s'aquitoient de leur devoir, il fut bien surpris lors que pensant qu'ils étoient occupés à leur tâche, & qu'ils surveilloient à la conservation du Vaisseau,
il les trouva tous endormis ... » p. 37
On peut estimer à cette époque de l'année qu'il est entre 2h30 et 3h30 du matin.
5- « ... sa surprise s'augmenta, et fut suivie d'un grand étonnement, lors qu'ayant voulu regarder de prés les choses, il découvrit la terre,
il cria aussitôt qu'on abaissat les voiles, & il n'eut pas plûtôt achevé de crier que le navire heurta fortement contre un Rocher : ce coup ébranla tout le Navire,
& le remplit de tant de cris, de crainte & de gémissemens, que les Matelots ne purent jamais s'entendre pour abaisser les voiles, selon l'ordre qui leur en étoit donné,
de sorte que le Navire heurtant de plus en plus contre le rocher, le gouvernail se rompit, & il n'y eut qu'alarme & que trouble dans tout le Navire ... » p. 37
On peut déduire que la lune doit être presque pleine pour qu'il y ait, si tard dans la nuit, encore suffisamment de lumière pour éclairer la terre,
ce qui est confirmé par le point 16. La mer n'est pas à priori extrêmement forte et la houle doit être normale,
il heurte donc des fonds de trois ou quatre mètres, en rapport avec son tirant d'eau.
6- « ... Les Matelots tous troublez n'ayans jamais pû s'entendre pour abaisser les voiles, furent contrains de couper les deux grands Mats du Navire,
& de mettre peu de tems aprés deux Chaloupes en mer, oû ils se jetterent eux mêmes, & où quelques uns de ceux qui ne furent pas empêchez
par leurs maladies les suivirent, quelques uns de nos prisonniers furent de cette troupe.
Le Capitaine voyant que tous craignoient de perir, & que chacun cherchoit une planche dans le naufrage, voulant arrêter nôtre crainte, nous cria plufieurs fois
d'avoir bon courage, nous disant qu'il ne s'en perdroit pas un de ceux qui resteroient avec lui, mais quelque coeur qu'il fit lui-même paroître,
quelque tems après il entra dans sa chambre, dépouilla ses habits, & se jetta dans la mer, pour se mettre dans les chaloupes, qui l'attendoient tout proche du Navire. ... » p. 38
Il ne semble pas que l'abattage des mâts ni la mise à l'eau des chaloupes aient présenté de particulières difficultés.
Ceci tend à confirmer que la mer n'est pas trop mauvaise et que le mauvais pas dans lequel se trouve le navire n'est dû qu'aux erreurs cumulées
(mauvaise estime, sommeil des guetteurs, affolement des marins). Par contre la destruction du navire devient inévitable.
Le capitaine abandonne les passagers à bord, car de toute façon le navire ne dispose pas des centaines de places nécessaires.
On remarquera qu'à aucun moment il n'est question de mouiller les ancres, ce qui est normal puisque le navire est déjà sur l'obstacle.
Ce détail est important pour l'identification éventuelle du site.
7- « ... La mer étant alors fort enflée, & fort irritée, nôtre Navire en étant rudement secoué, & fort ébranlé, il fut mis en mille pièces par les vagues qui le poussoient,
& par les rochers où il heurtoit : il ne nous resta dans ce débris qu'une partie de la Poupe, où nous nous retirâmes tous pour y chercher quelque asile
& quelque ressource à notre misérable vie ... » p. 38
Bien que Serres décrive la mer comme "Š fort enflée, & fort irritée, Š" il ne semble pas, comme nous l'avons vu, que l'équipage ait eu de mal à mettre les chaloupes à la mer.
Il est probable qu'il fasse allusion aux vagues déferlantes qui sont, même par temps calme, toujours impressionnantes au vent de la Martinique sur des hauts-fonds susceptibles
de causer le naufrage d'un navire tel que le Notre Dame de Bonne Espérance. En pleine nuit et pendant des événements aussi graves, une houle normale est certainement
suffisante pour justifier la remarque du sieur Serres.
8- « ... Ce qui nous avoit resté du Navire pour nous servir de quelque refuge, & de quelque apuy, s'enfonça tout à coup dans la mer,
où nous nous trouvâmes au milieu des vagues, ... » p. 39
Cet enfoncement dans la mer pourrait s'expliquer de deux façons : soit le reste de poupe progresse poussé par la houle sur le récif et une fois celui-ci franchi
coule sous le vent au pied de la caye, soit simplement la structure restante s'effondre sur place sous la pression de la mer.
La seconde solution semble la plus probable car jamais Serres ne décrit une progression des débris par rapport à l'obstacle,
on verra même plus bas qu'il constate que les restes du navire restent immobiles par rapport à la terre (voir point 12).
9- « ... nous nous trouvames au milieu des vagues, & où je n'avois aucune force pour combattre avec elles, la maladie que je souffrois depuis longtems,
& les remedes qu'il m'avoit falu fair pour en être soulagé, m'avoient réduit dans une telle foiblesse que j'étois incapable de faire aucun effort,
pour sortir du danger où j'étois enfoncé... Un peu avant le jour, lorsque je considerois mon tombeau, & que je me préparois à y en trer,
je me trouvai au milieu du débris du Navire, & sous quelques pièces de bois, qui empêchoient les eaux de m'emporter & de m'engloutir,
le bois qui me servoit d'anchre & de couverture pour m'arester ... » p. 39
Le fait que malgré son état de faiblesse M. Serres ne soit point emporté par la houle prouve qu'il est toujours resté sous le vent des vestiges du navire
qui lui ont servi d'abri car même un bon nageur avec un équipement moderne aurait du mal à se maintenir seul des heures au vent d'un récif de la côte est
en luttant contre la houle, surtout si il se trouve à la limite des brisants.
10- « ... je montay avec l'aide de quelques-uns de nos prisonniers sur le grand Mats où j'aperçûs l'Aumônier du Navire qui en avoit fait sa planche ...
& bien Monsieur Serres, nous voilà tous deux prés de mourir, & vous surtout qui étes si malade,
ne voulez vous pas vous résoudre à vous faire Catholique...Vous n'y pensez pas, c'est vous, qui devant penser à vous sauver dans l'extrémité
où vous êtes ne devriez pas différer d'un moment à embrasser nôtre Religion, qui est la plus pure qui soit au Monde, & hors de laquelle il n'y peut point avoir de salut ... » p. 40
L'ouvrage publié en Hollande est un livre de polémique avec les catholiques, et l'on pourrait penser à un épisode inséré à dessein.
Mais l'ensemble du récit du Sieur Serres est dépourvu de pathos et proche d'un récit journalistique. On n'a donc pas de raison de mettre en doute son récit
pour étonnant qu'il puisse nous paraître. Mais d'un point de vue pratique on remarquera que si la situation est dangereuse,
les attaques de la mer laissent tout de même la possibilité aux naufragés de parler et de réfléchir. Ceci vient encore confirmer le fait que la mer n'est pas déchaînée.
11- « ... Les planches sur lesquelles nous étions étoient si fort ébranlées, & nous y étions si fort agitez, que je changeais souvent d’assiette & de place,
je fus tantôt sur une pièce de bois, & tantôt sur une autre, jusques environ dix à onze heures du matin ... » p. 41
Il y a déjà entre six et sept heures que les naufragés sont réfugiés sur les restes de l'épave en étant périodiquement renversés des planches sur lesquelles ils trouvent refuge.
Ils attendent en vain les secours que le capitaine leur a promis en partant.
12- « ... nous n'en pouvions pas sortir nous-mêmes, quelques planches qui nous eussent resté après le naufrage, parsceque la plupart des pieces de bois
sur lesquelles nous nous appuiyons, étoient attachées les unes aux autres par des cordages, & arrêtées par les Anchres & par les Canons, qui touchoient à terre;
je jugeai que la chose étoit ainsi, voyant que le débris parmi lequel j'étois, & sur lequel plusieurs s'appuyoient avec moi, demeuroit toûjours au même endroit,
je ne fus pas le seul a le penser, ... Quelques-uns d'eux s'avisèrent de couper les cordes, qui lioient les piéces de bois, où ils s'appuyoient,
ce qu'ils firent avec quelques couteaux qu'ils avoient conservez, de sorte que leurs planches étans separées, & le vent les poussant favorablement vers la terre,
elles les portèrent à terre, & ils furent heureusement sauvez. ... » p. 41
On voit qu'ils sont restés à l'endroit du naufrage, puisqu'ils ne dérivent pas et sont toujours maintenus pas le poids des ancres et des canons qui les retiennent sur le fond.
On peut remarquer le sens d'observation, l'analyse et le sang froid de ces hommes. Si les naufragés qui se laissant dériver sur un flotteur arrivent à atteindre la côte,
c'est que l'obstacle du récif proprement dit ne se trouve pas directement sous le vent régnant à ce moment. Si il n'en était pas ainsi les naufragés dérivant auraient eu le plus
grand mal à passer l'obstacle et il serait bien étonnant qu'ils aient tous réussi a le franchir heureusement. Les secteurs de vent vont au mois de mai du nord-est au sud-est,
les barrières de récif étant toutes orientées parallèlement à la côte, c'est à dire plus ou moins nord-sud, il faudrait pour expliquer le phénomène qu'ils se soient trouvés près
d'une passe ou a l'extrémité d'un récif et que le vent les en dégage. C'est un des éléments les plus importants pour l'identification du site.
13- « ... Il y en eut d'autres qui furent délivrez par les Sauvages, lesquels s'étans apperçûs de loin de nôtre naufrage, & nous ayans vûs dans le peril où nous étions,
vinrent pour nous secourir, avec une petite Barque appellée Canot ... » p. 41
La différence marquée que fait Serres entre "nègres" et "sauvages" montre bien que, conformément aux usages du temps, il désigne par ce dernier mot les amérindiens.
Les derniers caraïbes avaient été théoriquement chassés de l'île en 1650, mais en fait on trouve trace de leur présence de plus en plus acculturés jusqu'à pratiquement
la fin du XVIIIème siècle. Ils exerçaient souvent le métier de pêcheurs. La présence de quelques caraïbes sur la côte atlantique, entre le Robert et le François,
est signalée par le père Labat qui passe une nuit sous le carbet du chef caraïbe christianisé Larose dont le carbet est à sa connaissance le seul de Martinique
("Je n'ai jamais entendu dire qu'il y en eût dans toute la Martinique d'autre que celui de la Rose" ) et qui se situe à la Pointe Larose dont il ne sait si c'est elle
qui a donné son nom au chef ou l'inverse. Cette visite chez les caraïbes se situe à la fin de l'année 1694, soit sept ans après le récit de Serres.
Cet élément nous inciterait à chercher la zone du naufrage vers le Robert ou le François. Ce détail apporte également un élément important de localisation du lieu de naufrage.
14- « ... Quoi que nous fussions à deux grandes lieues de la terre, je me hasardais d'y aller sur une pièce du pont détachée des autres ... » p. 42
Serres n'étant pas marin, il y a de fortes chances pour qu'il ne parle pas de lieues marines mais de lieues terrestres dont il a l'habitude. La valeur de la lieue est variable,
mais elle est comprise entre quatre kilomètres et quatre kilomètres et demi. L'appréciation des distances en mer est une chose toujours délicate,
et encore plus pour quelqu'un n'en ayant pas l'habitude, cependant l'examen de la carte montre que la ligne des récifs, de la Caravelle au Macabou,
se situe entre six et sept kilomètres de la côte.
15- « ... faisant ainsi tristement nôtre chemin nous fûmes un peu avant la nuit assez près de la terre, entre trois & quatre Isles :
mais le vent nous ayant ici manqué, & n'ayant rien pour ramer, nous ne pûmes point aller plus avant ... » p. 42
Une autre indication précieuse pour l'identification de la zone de naufrage.
En observant la carte de la côte est de la Martinique, on s'aperçoit que l'on ne trouve des concentration d'îlets que dans les baies du Robert et du François.
Encore les îlets du Robert sont ils en fait le prolongement de pointes littorales, et très éloignés les uns des autres.
Seuls les îlets du François (îlet Thierry, îlet Oscar, îlet Aubery, îlet long) sont susceptibles d'être reconnus par des naufragés situés au raz de l'eau.
Ils se situent dans un cercle de deux nautiques de diamètre.
16- « ... ceux de ma compagnie virent à travers la clarté de la Lune qui nous favorisoit dans ce moment, une petite Barque ... deux Négres,
l'un desquels parloit françois ... nous dit en nôtre langue que si nous voulions lui donner un écu il nous porteroit chez lui ... » p. 43
Après ce sauvetage, ils se retrouvent dans une maison sans eau et sans nourriture dans laquelle il passent la nuit.
17- « ... Le contre-Maître de nôtre navire & un Forçat me présentèrent d'abord leurs bras, ils me mirent dans un petit Canot, avec lequel nous passâmes un bras de mer,
& nous rendîmes dans l'Isle de la Martinique ... » p. 48
On comprend pourquoi la maison manque à ce point de ressources : elle est située sur un îlet, puisqu'il faut franchir un "bras de mer"
pour arriver sur l'île de la Martinique proprement dite (ceci peut correspondre à l'îlet Aubery, l'îlet Frégate ou l'îlet Long).
18- « ... le Capitaine est coupable de nos malheurs; premièrement, de ce qu'il ne voulut pas croire le Pilote; secondement,
de ce qu'il ne voulut jamais faire tirer aucun canon, de quatorze que nous en avions dans le Vaisseau, pour demander du secours ... » p. 49
Les documents nautiques indiquent que le navire aurait eu 16 canons.
Cependant il est possible que pour une quelconque raison il en ait manqué deux par rapport au plan d'armement.
Résumé des caractéristiques du lieu du naufrage.
De cette analyse du récit de Serres ont peu dresser une liste des points caractéristiques du site de naufrage :
Les fonds les plus hauts sont sensiblement égaux au tirant d'eau : trois mètres à trois mètres soixante
Le navire reste à l'extérieur du récif.
Il ne mouille pas ses ancres.
Ils sont à un endroit de la caye où, sous le vent, un nageur peut franchir le récif.
La présence d'indiens caraïbe indique un site proche du Robert ou du François.
Ils sont au vent d'un ensemble d'au moins quatre îlets.
Ces caractéristiques ont conduit à l'identification du site FR/M/3/D/022 avec les restes du naufrage du Notre Dame de Bonne Espérance.
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Dernière édition par Stearghall le Lun 31 Mai 2021 - 12:17, édité 9 fois